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Titel
Histoire de la Suisse.


Autor(en)
Maissen, Thomas
Erschienen
Villeneuve d’Ascq 2019: Presses Universitaires du Septentrion
Anzahl Seiten
393 S.
von
Olivier Meuwly

Encore une Histoire de la Suisse, s’esclafferont peut-être les plus blasés ! Il est vrai que depuis quelques années, les livres consacrés à l’histoire de notre pays ont subitement afflué, après une longue période de refoulement de notre passé, systématiquement observé sous la chape de plomb de la Nouvelle Histoire de la Suisse et des Suisses dirigée par Jean-Claude Favez chez Payot (1982-1983). Il dominait alors la volonté de démonter la mythologie qui aurait tenu lieu d’histoire nationale durant des siècles. On se souvient du contexte politico-scientifique. Des années durant a régné une histoire qui, au nom de la science, avait déroulé un argumentaire critique d’un pays longtemps attaché à se mirer dans le miroir déformant de ses propres mythes, pour se donner une consistance morale qui lui ferait en réalité défaut. Il en a résulté un grand trouble que la droite nationaliste a exploité pour s’opposer à ses adversaires de gauche, friands de cette histoire critique si malléable dans le combat politique qu’ils entendaient mener. Entre déconstruction scientifiquement éprouvée, mais non dépourvue d’arrière-pensées idéologiques, de l’histoire suisse et sa reconstruction pour le moins approximative et au service d’un discours « re-nationalisé », les Suisses s’étaient perdus, en quête d’un retour aux faits dont chaque camp se nourrissait abondamment.

Cette faim explique le succès phénoménal qu’ont connu L’histoire suisse en un clin d’œil de Joëlle Kuntz, en 2006, et L’Histoire de la Suisse pour les nuls de Georges Andrey, paru l’année suivante. Depuis, de nombreuses Histoire de la Suisse ont jailli de terre, en Suisse alémanique où le débat sur les mythes de l’histoire suisse et leur usage politique était encore plus vif, moins en Suisse romande, marché plus restreint. Dans notre région signalons tout de même la remarquable Une Histoire de la Suisse de François Walter, parue d’abord en cinq petits volumes entre 2008 et 2009, avant que son éditeur, Alphil, n’ait eu la riche idée de le publier en un volume en 2016. Pour la Suisse alémanique, on ne citera que l’impressionnante Die Geschichte der Schweiz, dirigée par Georg Kreis (en 2014), qui attend toujours sa version française (voir RHV,123, 2015, pp. 253-255) et surtout la Geschichte der Schweiz, de Thomas Maissen, publiée en 2010 et rééditée à six reprises depuis lors. C’est ce livre que la maison d’édition française, Les Presses universitaires du Septentrion, ont pris la très louable initiative de publier dans une traduction française de qualité malgré quelques imprécisions que l’on peut regretter.

La Suisse romande dispose ainsi de deux synthèses de l’histoire helvétique dues à deux historiens majeurs de notre temps. Disons-le d’entrée de cause, les deux textes se complètent harmonieusement. Celle de Walter de haut style raffole de nécessaires digressions dans les thèmes chers à son auteur, comme l’importance si longtemps négligée des villes dans la construction de la Suisse, alors que celle de Maissen s’en tient à une factualité qui rappelle que l’auteur a travaillé pour la Neue Zürcher Zeitung, dont il est également l’un des éminents historiens. Au fil des rééditions qu’a enregistrées son magistral ouvrage, Maissen s’est colleté avec gourmandise avec l’actualité la plus récente, proposant une histoire du temps présent helvétique des plus stimulantes. Si Georg Kreis, auteur du chapitre consacré à l’après-guerre dans la somme qu’il a patronnée, ne se hasarde guère dans un passé trop récent pour offrir le recul qu’affectionne tant l’historien, si Walter s’y engage prudemment à coups de notations illustrant les malaises actuels qu’il décèle dans le quotidien helvétique, Maissen, réveillant peut-être le journaliste qui sommeille en lui, s’aventure franchement, dans un corps à corps vigoureux avec le présent.

Il inscrit ainsi son propos dans une continuité qui ne saurait s’arrêter à un moment précis. Nous regretterons néanmoins qu’il n’approfondisse pas les effets de la « révolution soixante-huitarde » sur la Suisse et qu’il n’évoque la crise économique et financière de 2008-2009 qu’en lien avec les subprimes et ses conséquences pour UBS, et non dans sa dimension politique. Or cette crise a renforcé l’aggravation de la perte confiance, déjà latente, envers les institutions, la Suisse s’en sortant en l’état mieux que ses voisins grâce à sa démocratie semi-directe. 1968 et 2008/9 : deux marqueurs de notre contemporanéité. Ancré dans l’actualité, l’auteur court-il dès lors le risque de s’adonner à un certain moralisme qu’il se plairait à déverser sur ses compatriotes, comme le montre l’avertissement qui clôt son livre : « Connaître le passé de son pays permet certainement de se montrer sûr de soi à l’étranger ; mais l’histoire de la Suisse comporte suffisamment d’avertissements contre le risque de se surestimer » ?

Il n’en est rien, ou en tout cas ni plus ni moins que ses confrères, tous préoccupés comme lui, à force de scruter l’édifice si fragile que les Suisses ont construit à travers le temps, de sa capacité de résistance dans un contexte mondial peut-être moins réceptif aux subtilités d’un échafaudage helvétique soumis à des vents de plus en plus violents. La Suisse pourra-t-elle survivre seule et faire preuve de la résilience nécessaire pour s’affirmer dans un avenir qui semble vouloir broyer les constructions originales dans une uniformité vénérant l’éphémère ? Ces questions dévoilent la richesse des analyses de Maissen qui a en outre le mérite de proposer une présentation assez complète de ce moment charnière qu’est le segment 1848-1914, une période souvent moins auscultée dans les autres ouvrages. On lui reprochera néanmoins quelques raccourcis (mais son livre a il est vrai une vocation synthétique) et, pour la période d’avant, d’avoir emprisonné l’essor du libéralisme dans un projet presque exclusivement économique. Pour le Moyen Age également, son livre aurait mérité s’inspirer de l’historiographie la plus récente (Jean-Daniel Morerod par exemple) et offrir une vision plus précise de cette période. Quant au rôle de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, sujet sur lequel on attend toujours les narrateurs de notre passé, après avoir exposé les éléments établis où le Conseil fédéral a manifestement dévoilé quelques failles, il s’en sort par des interrogations, qu’il laisse prudemment ouvertes : « Rares furent, au cours des cinquante dernières années qui ont suivi la guerre, ceux qui se posèrent ces questions : les circonstances, difficiles il est vrai, n’avaient-elles laissé aucune marge de manœuvre à la Suisse ? Celles-ci n’auraient-elles pas pu mieux accomplir la mission humanitaire dont elle s’enorgueillissait ? » Des interrogations qui hanteront encore des générations d’historiens…

Zitierweise:
Meuwly, Olivier: Rezension zu: Maissen, Thomas: Histoire de la Suisse, Villeneuve d’Ascq 2019. Zuerst erschienen in: Revue historique neuchâteloise, Vol. 1, 2020. Online: <https://svha-vd.ch/cr2-thomas-maissen-histoire-de-la-suisse/>

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